Jacek Karpiński : ingénieur et inventeur de l’ordinateur de la taille d’une valise dans les années 1970

Wanda Karpińska attendait un enfant, et son mari Adam Karpiński voulait, qu’il soit né au sommet du Mont Blanc. Malheureusement, en avril 1927, le temps n’était pas très favorable pour réaliser cette expédition périlleuse, alors ils sont finalement descendus sur le versant italien des Alpes. Leur fils Jacek est né à Turin.

Jacek Karpiński avait à peine terminé sa sixième classe lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté. Pendant le siège de Varsovie, il était un agent de liaison de la défense anti-aérienne à Śródmieście Sud de Varsovie, et peu après, sous l’occupation allemande, il a créé dans sa propre cave un stand de tir et un dépôt d’armes.

J’étais très impressionné par son histoire, qui raconte comment il jouait aux échecs et aux batailles navales avec son frère Marek, lorsqu’il était enfant. Ils ont mené leurs guerres pendant de longues heures. Ils ont inlassablement renversé des pions et des dames, coulé des navires, jusqu’à ce que les escarmouches sans effusion de sang ont finalement prouvé, lequel des deux était le meilleur stratège. Mais leur jeu était bien différent de celui de la plupart des gens. Pas de plateaux ou de morceaux de papier ; ils ne jouaient que dans leur imagination. Les batailles se sont déroulées que dans leurs têtes. Ils ont déplacé des pions, renversé des figures et mis le roi en échec. Peut-être grâce à cela, Jacek a développé une façon spécifique de penser.

Piotr Lipiński, “BIOGRAFIA KARPIŃSKIEGO, czyli artyści tworzą komputery”, 2014, l’article disponible ici.

Juste après la guerre, dans un hangar à côté, il construisait un sous-marin pour pouvoir descendre la Vistule jusqu’à la mer et quitter la Pologne, mais il a rapidement décidé de rester dans le pays et d’abandonner l’opération prévue. Peu après, il a réalisé son premier grand projet – il a construit l’AAH – une machine qui servait à établir des prévisions météorologiques à long terme.

Jacek Karpiński AAH machine
Jacek Karpiński et la machine AAH. Source de l’image ici.

Quatre ans plus tard, en 1959, il a terminé la construction de l’ordinateur AKAT-1, le premier ordinateur analogique au monde – analyseur différentiel à transistors -qui était très en avance sur son époque, tant par ses capacités opérationnelles que par son aspect « cosmique ».

AKAT-1 machine 3
Source de l’image ici.
Paweł Giergoń, Wzornictwo PRL : AKAT-1 – Komputer analogowy, 2010, l’article disponible ici.

En 1959, il a créé une autre machine, appelée AKAT-1. (…) Il s’agissait de la première construction de ce type au monde.

Dariusz Grałka, “Jacek Karpiński – wynalazca komputera osobistego” [dans :] Zeszyty Naukowe WSInf vol. 9, n˚1, Łódź 2010, p. 56-57, disponible ici.

Jacek Karpiński représentait la Pologne au concours des jeunes constructeurs de l’UNESCO, il était l’un des six lauréats sur deux cents participants, ce qui lui a permis de partir aux États-Unis. Il était fasciné par les laboratoires et les universités américaines, pourtant il a rejeté une offre très favorable de devenir le Président du Conseil de Surveillance de la Banque pour le développement de nouveaux domaines technologiques, avec un salaire annuel de 100 000 dollars. Il est retourné en Pologne.

Jacek Karpiński mosaic

À l’étranger, les générations d’ordinateurs changeaient comme dans un kaléidoscope, nous étions toujours immobiles. (…) Un seul homme n’a pas attendu. Lorsque les mini-ordinateurs sont apparus, l’ingénieur Karpiński a très bien compris la chance qu’ils offraient aux pays qui sont en retard en matière d’informatisation. Il se raccrochait à cette idée et avançait sans tenir compte des obstacles.



Grzegorz Biały, “Mini… czy Max”, Tygodnik Ilustrowany Przyjaźń, n˚36, 1971.

Peu de temps après, Jacek Karpiński a construit un perceptron, une machine capable d’apprendre, qui reconnaît son entourage, des formes et des objets grâce à une caméra. C’était la deuxième construction de ce genre au monde. Un peu plus tard, il a construit un autre ordinateur, le KAR-65, qui était créé pour scanner et analyser les images d’électrons et de neutrons. Il a réalisé ce projet, y compris le scanner, à la demande de l’Institut des Physiciens de la rue Hoża à Varsovie.

Le caractère d’individualiste conflictuel, et son incapacité à s’adapter aux méthodes de travail admises en PRL [PRL – République populaire de Pologne] lui ont valu des ennemis parmi les dignitaires du parti, en augmentant en même temps, la réussite professionnelle parmi les constructeurs d’ordinateurs, avec l’usine Elwro de Vratislavie en première ligne. L’ordinateur « Odra », fabriqué à l’époque à Vratislavie, occupait une pièce entière et nécessitait une pièce séparée pour la ventilation, par contre, l’ordinateur de Jacek Karpiński – le KAR-65 – était plus petit et plus efficace.

La machine entre en transe, on entend une série de rythmes aux sonorités presque musicales, comme si Joe Morello, lui-même, les frappait avec des pinceaux sur la batterie ; les lumières du bureau de l’ordinateur clignotent en rythme (…) On a l’impression que la machine danse une rumba, et se siffle à elle-même, pour ajouter de la dynamique.

La description de l’ordinateur KAR-65 dans « Trybuna Robotnicza », Joe Morello jouant de la batterie à écouter ici.
Jacek Karpiński team KAR-65 computer
Jacek Karpiński et son équipe devant l’ordinateur KAR-65, source de l’image ici.

En tant que prototype, le KAR-65, ne rivalisait pas avec les machines produites industriellement par l’usine d’Elwro, mais un autre ordinateur de Karpiński, le K-202, était une sérieuse menace. Il fonctionnait plus vite que les autres ordinateurs, même une décade plus tard, il avait la taille d’une valise et il était destiné à la production industrielle.

Les représentants de l’usine Elwro de Vratislavie, où l’ordinateur ODRA était produit à l’époque, se sentaient menacés dans leur monopole. (…) La situation n’est que drôle et inquiétante, lorsqu’un spécialiste de Vratislavie déclare que le K-202 est… trop moderne pour notre pays. Ce n’est pas le K-202 qui est trop moderne pour nous, mais les structures dans lesquelles il pourrait être utilisé sont trop dépassées.

Henryk Boruciński, “Kto następny, czas ucieka…”, Perspektywy n° 26, 1971.

La production de l’ordinateur K-202 a commencé uniquement dans les conditions de laboratoire, et avec le soutien des entreprises britanniques: DataLoop et MB Metals.

Jacek Karpiński et son équipe ont produit 30 exemplaires de K-202, dont 15 exemplaires ont été envoyés au Royaume-Uni, conformément au contrat, et 15 autres exemplaires ont été distribués dans les bureaux et les entreprises publiques en Pologne (un seul exemplaire était en possession d’un client privé).

En 1971, lors de l’exposition des ordinateurs au Centre d’Expositions Olympia, à Londres, le K-202 s’est révélé être un ordinateur de premier ordre, avec lequel seules les machines américaines PDP pouvaient rivaliser.

Malheureusement, la coopération avec les entreprises britanniques a été rapidement interrompue par l’intervention des autorités communistes, les propositions venant de la France et de la Suède ont été rejetées, et Jacek Karpiński étais viré de l’Institut des machines mathématiques de Varsovie et mis sur la liste noire. En signe de protestation, il est parti en Mazurie, où il a loué une ferme et il s’est lancé dans l’élevage de poulets et de porcs.

pig in Masuria Jacek Karpiński

Jacek Karpiński, forcé d’abandonner sa passion, n’a pas vraiment élevé des porcs, c’était plutôt un manifeste. Son travail à la campagne était une sorte de démonstration : voyez ce que les informaticiens doivent faire en Pologne aujourd’hui.



Piotr Lipiński, “Geniusz i świnie. Rzecz o Jacku Karpińskim”, Pruszków 2014, p. 202.

Son prénom, son nom, ainsi que le nom de son plus grand projet informatique – l’ordinateur K-202 – étaient soumises à la censure.

Piotr Lipiński, l’auteur d’une biographie et d’un film sur Jacek Karpiński, écrit que pendant les concerts d’un groupe de rock polonais « Perfect », les gents chantaient « Elektronik grzebie w chlewie » [L’ingénieur électricien fouille dans une porcherie] au lieu de « Elektronik kradnie w Tewie » [L’ingénieur électricien vole à Tewa; Tewa – usine de semi-conducteurs à Varsovie]. Cela s’est produit après la publication d’un court reportage dans la Chronique Cinématographique Polonaise en 1981 sur ce brillant concepteur d’ordinateurs qui est devenu éleveur de porcs près d’Olsztyn.

Karpiński a rapidement accepté l’invitation de Stefan Kudelski, qui était un inventeur et un constructeur de magnétophones de classe mondiale, établi en Suisse. Malgré leur sympathie mutuelle la coopération ne s’est pas bien passée.

Dans les années 1990, Jacek Karpiński est retourné en Pologne avec un projet de C-Pen Reader [Le crayon numériseur] – un lecteur de forme similaire à celle d’un stylo à bille, qui copiait le texte à partir de sources papier directement dans le logiciel de traitement de texte, ce qui évitait les réécritures fastidieuses, et pouvait être largement utilisé dans de nombreux domaines et par diverses professions.

Jacek Karpiński Pen Reader poster

Les scanners de l’époque permettaient de « transférer » une page de texte vers un ordinateur sous forme de graphique, comme si nous avions pris une simple photo. Mais ils n’ont pas pu le convertir en lettres. Seul un logiciel d’OCR permettait de le « lire » et de l’importer rapidement dans un programme d’écriture tel que word. (…) Il a créé l’appareil lorsqu’il était en Suisse, à la demande d’un comptable, qui se plaignait de devoir transcrire à la main un grand nombre de données dans l’ordinateur.

Piotr Lipiński, “Geniusz i świnie. Rzecz o Jacku Karpińskim”, Pruszków 2014, p. 225.

Cette fois, le succès était bloqué par la banque, qui n’a pas payé une partie importante du crédit contracté pour les machines de production, exigeant des garanties supplémentaires. Karpiński a encore construit une caisse enregistreuse fiscale moderne, mais cela n’a pas permis d’éviter les problèmes financiers.

Jacek Karpiński cash register

Cette caisse enregistreuse était à son époque la plus petite et la plus universelle des caisses enregistreuses fiscales de Pologne.

Article, Kasa fiskalna K-102, dans la galerie d’inventions de Jacek Karpiński, source de l’article ici.

Lorsque Jacek Karpiński a pris sa retraite, il gagnait sa vie en créant des sites web. Il est décédé en 2010.

Bibliographie et sources :

Illustrations et création graphique : Małgorzata Bochniarz-Różańska

Texte : Filip Jegliński

Version française : Anna Rdest

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