ernest malinowski

Ernest Malinowski : héros national péruvien qui a construit le plus haut chemin de fer du monde

Le travail historique du Polonais est en effet un maillon d’une lutte engagée contre toutes sortes de barrières que la nature place entre les gens, barrières physiques mais aussi économiques. Un univers placé sous le signe de la libre circulation remplacera désormais le monde fermé et restreint de l’époque coloniale.

Nicolás de Ribas, « El tren de Lima a la Oroya » : Construcción e idea de progreso en el proyecto ferroviario transandino del ingeniero polaco Ernesto Malinowski », Itinerarios 14/2011, p. 2-3.


Il est né en Volhynie, probablement en janvier 1818. Son père, Jakub Malinowski, combattait encore dans l’armée de Napoléon, il participait à la campagne contre la Russie, et une dizaine d’années plus tard à l’Insurrection de Novembre. Nous ne savons pas exactement ce qu’Ernest faisait à cette époque, mais l’Insurrection de Novembre était certainement l’une des raisons de son émigration en France.

[La participation de Malinowski au Insurrection de Novembre] semble être confirmée par deux informations trouvées, dont la premiere est tirée d’un article publié dans le quotidien péruvien « El Comercio » après la mort de l’ingénieur polonais. L’auteur inconnu écrit qu’Ernest Malinowski ne répondait à toutes les questions sur l’Insurrection de Novembre que par un sourire triste. Cependant, il a raconté un jour à ses amis, comment il a réussi à peine à s’échapper du manoir soudainement encerclé par un détachement de l’armée russe, et comment il a passé la nuit dans une cabane de paysan.

Danuta Bartkowiak, « Ernest Malinowski. Konstruktor kolei transandyjskiej », Poznań 1996, p. 60. basé sur l’article « Don Ernesto Malinowski » dans le quotidien péruvien El Comercio du 2 mars 1899.

Ernest Malinowski est parti en France avec son père et son frère, tandis que le reste de sa famille est resté en Volhynie. Malinowski a passé son baccalauréat à Paris, il a fréquenté l’École Polytechnique et la prestigieuse École des Ponts et Chaussées, dont il est sorti diplômé avec mention. Pendant plusieurs années, il a travaillé à la construction de routes, de lignes de chemin de fer et à la régulation de rivières en France, et pendant un certain temps en Algérie. Il est retourné en Pologne après avoir entendu parler du Soulèvement de Cracovie, mais il n’a pas réussi à y prendre part.


En 1852, il a signé un contrat pour la réalisation de travaux d’ingénierie et pour l’éducation des jeunes au Pérou. Il s’est rapidement attaché à ce pays d’Amérique du Sud comme s’il était le sien. L’une des tâches confiées à Malinowski était de réparer les pavés de la ville d’Arequipa, connue pour sa beauté, mais détruite pendant la guerre avec les Espagnols.

Le problème principal était de choisir le bon matériel, la pierre devait être suffisamment dure, et en même temps sa couleur devait s’harmoniser avec l’architecture coloniale de la « Ville Blanche » (…) Le projet de pavage des rues d’Arequipa nécessitait non seulement un expert, mais aussi un homme capable de sélectionner en laboratoire le bon type de matériel avec les propriétés requises. Cette tâche a été confiée à Ernest Malinowski.

Danuta Bartkowiak, « Ernest Malinowski. Konstruktor kolei transandyjskiej », Poznań 1996, p. 148-151.

Quelques années plus tard, les autorités péruviennes ont confié à Malinowski la tâche de fortifier le port de Callao, près de la capitale nationale – Lima. Malinowski a dû agir rapidement, car les navires de la plus puissante flotte du monde naviguaient déjà vers le port. Les Espagnols voulaient reprendre le contrôle de leur ancienne colonie.

Le nom de Malinowski, ou plutôt sa nationalité, a directement contribué à la confiance des Péruviens il leur semblait, qu’un Polonais pouvait faire des miracles dans la lutte pour sa propre indépendance ou celle d’autrui, dans la défense de la liberté et de la juste cause.

Władysław Folkierski, « Ernest Malinowski i kolej przez Kordylierę Andów », [dans :] « Czasopismo Techniczne » n˚ 10, Lviv 25 V 1899, p. 118.

Ernest Malinowski connaissait certainement et il a décidé de mettre en pratique au Pérou la devise rimée de l’artillerie côtière « gauloise » (…) qui était la suivante : « Un canon sur terre vaut un bateau sur mer » ce qui signifie plus précisément, qu’un seul canon – surtout lorsqu’il est habilement masqué et protégé – est un adversaire digne et redoutable pour un navire.

Cezary Nałęcz, « Przyczynek do biografii Ernesta Malinowskiego : na marginesie książki Stanisława Łańca « Polska myśl techniczna XIX i początków XX stulecia w kraju i na świecie. Inżynierowie dróg i mostów », [dans :] « Echa Przeszłości » n° 6/2006, p. 285.

Malinowski fait rapidement importée l’artillerie des États-Unis, qu’il plaçait sur les rochers et camouflait en élevant des fortifications. Le 2 mai 1866, commandant la défense de la côte, il a remporté une grande victoire sur l’armée espagnole ce qui lui a valu de recevoir la citoyenneté d’honneur, et le titre de héros national par le gouvernement péruvien (article sur Malinowski dans le journal de la capitale péruvienne El Comercio, disponible ici).

Plusieurs années plus tard, dans un article sur Malinowski publié dans le grand quotidien de Lima « El Comercio » on lit, qu’aucune des réalisations de Malinowski ne lui a fourni une raison plus importante de reconnaissance nationale que la construction des forts et leur défense pendant la bataille du 2 mai 1866. Depuis ce temps, comme l’a écrit le rédacteur en chef de « El Comercio » : « Malinowski a reçu le droit d’être reconnu comme citoyen péruvien ».

Danuta Bartkowiak, « Ernest Malinowski. Konstruktor kolei transandyjskiej », Poznań 1996, p. 184.

Le Pérou avait un problème économique fondamental : les hautes montagnes des Andes séparaient la côte peuplée des terres fertiles de l’intérieur du continent. Ernest Malinowski a proposé de faire passer une ligne de chemin de fer à
travers les montagnes pour résoudre ce problème.

L’idée était critiquée comme étant impossible à mettre en œuvre et absurde, d’abord par des experts péruviens, puis également par des spécialistes anglais et français, embauchés par des investisseurs potentiels. Les travaux n’ont pu commencer que dix ans plus tard, après que le Congrès péruvien ait donné son approbation, et qu’un investisseur ait été trouvé. Cela s’est produit exactement le 1er janvier 1870.

Imaginez : notre plus haut sommet des Tatras, Rysy, fait 2499 m d’altitude, et Malinowski travaillait à près de deux fois cette hauteur, en écrasant des roches, en apportant et en tirant des rails, des traverses, des poutres, et en construisant des voies ferrées vers ces sommets.

Ryszard Tadeusiewicz, professeur de sciences techniques, sur Ernest Malinowski dans : Marek Bielski, « Rok inż. Ernesta Malinowskiego », [dans :] « Przegląd Techniczny – Gazeta Inżynierska », n° 16-17/2018, disponible ici.

Il était pratiquement partout. Il s’est fait descendre sur des cordes au fond des précipices pour tester la résistance du sol aux endroits où les piliers du pont devaient être placés ; comme un alpiniste, il a grimpé les pistes de montagne inaccessibles pour résoudre sur place des problèmes techniques détaillés, et diriger les travaux. Il a passé la nuit sous la tente dans les sommets des montagnes, où la température du matin est descendue à -14 °C, et la chaleur du matin a atteint 26 °C. Avec les ouvriers, il a affronté les tempêtes de neige et les rayons brûlants du soleil.

Zbigniew Bielicki, « Wyżej niż kondory », [dans :] « Poznaj Świat » R. XXVIII, n˚ 9 (334), septembre 1980, p. 3-3-7.

Malinowski était responsable de la construction, mais il était assisté par ses étudiants. Beaucoup d’autres ingénieurs polonais sont bientôt arrivés, ils ont dû fuir la Pologne après la défaite d’Insurrection de Janvier.

Plusieurs solutions novatrices ont été utilisées pour la construction, car les méthodes européennes testées dans les Alpes ne correspondaient souvent pas aux conditions des hautes montagnes sud-américaines :

Une curiosité particulière témoignant des idées inhabituelles et de l’excellente organisation du Polonais, est le fait qu’il employait des marins habiles à manier les voiles et à grimper aux cordes. Ils ont rendu des services inestimables lors du montage même de certains des ponts. (…) ll convient également de mentionner, que lors du montage du pont « Verrugas » et d’autres ponts, E. Malinowski était assisté par des Indiens locaux, qu’il employait lorsque le travail demandait une grande dextérité. Par exemple, pour construire le « pont hamac » les Indiens ont d’abord utilisé une
fronde pour lancer une corde fine à travers le gouffre, puis une corde plus épaisse, et enfin un câble en acier.

Danuta Bartkowiak, « Ernest Malinowski. Konstruktor kolei transandyjskiej » Poznań 1996, p. 219-220.

35 tunnels d’une longueur totale d’environ 5 km, et une vingtaine de ponts ont été construits. Le plus haut d’entre eux, le Verrugas, était soutenu par des piliers en fer d’une hauteur record de 77 mètres.

(…) Nombreux tunnels, virages serrés et plongeons, ainsi que double changement de direction
traversent les pentes occidentales de la Cordillère. Sur cette distance, divers records « ferroviaires »
de l’époque ont été battus : le plus long tunnel (1177 m), l’endroit le plus haut du monde (4781 m),
la plus haute jonction ferroviaire du monde (4818 m).

« Centralna kolej transandyjska », article sur le site de l’Institut Polonika disponible ici.

Sur la base d’un projet considéré par les experts comme impossible à réaliser, Malinowski a conçu le chemin de fer central Transandin : cette ligne de chemin de fer, qui est toujours en service aujourd’hui, était la plus haute de l’histoire des chemins de fer de l’époque (elle n’a été dépassée que par le chemin de fer du Tibet, qui était ouvert dans l’Himalaya à la fin du XXe siècle). Les travaux ont été terminés en 1908, après la mort de l’ingénieur polonais, la ligne a finalement atteint sa longueur finale de 346 km. En Europe, beaucoup ne croyaient pas ou mettaient en doute l’existence du chemin de fer central Transandin. Les représentants des pays européens ont donc été invités à faire un tour sur le chemin de fer, ce qui a permis de dissiper leurs doutes.

Les traverses, fabriquées en pin rouge de Californie, étaient également de la meilleure qualité. Ernest Malinowski était convaincu, que le succès de l’ensemble du projet ne pouvait être assuré que par l’utilisation des matériaux les plus durables, et par la participation des meilleurs spécialistes.

Danuta Bartkowiak, « Ernest Malinowski. Konstruktor kolei transandyjskiej », Poznań 1996, p. 225.

Avec la participation d’ingénieurs polonais venus au Pérou, Malinowski a fondé la première école polytechnique latino-américaine, l’École spéciale d’ingénieurs des constructions civiles et minières de Lima. En tant que directeur de l’école polytechnique, il a initié la publication de revues scientifiques et techniques en y publiant les Annales péruviennes de Construction Civile et de Mines (Anales de Construcciones Civiles y de Minas del Peru). Il aidait le gouvernement à élaborer une loi moderne sur l’exploitation minière, il a introduit le système métrique au Pérou, et il était l’un des fondateurs de la Société Péruvienne de Géographie. Il est mort en 1899, et il est enterré dans le cimetière Priest Maestro de Lima à côté de chefs d’État et de héros nationaux péruviens.

Cent ans après la mort de Malinowski, en 1999, sur le tracé du chemin de fer Transandin, un monument a été érigé à son honneur. L’endroit où il a été érigé n’était pas accidentel. Il s’agit du col du Ticlio, le point le plus élevé de l’itinéraire (4818 m). Le monument de Gustaw Zemła était taillé dans le granit de Strzegom, en Basse-Silésie (pour en savoir plus, cliquez ici).

En 2018, une peinture murale réalisée par Rafal Pisarczyk a été dévoilée à l’Université nationale d’ingénierie du Pérou en l’honneur d’Ernest Malinowski (la vidéo de cette présentation est disponible ici, l’article sur le site du Ministère péruvien des Affaires étrangères ici).

La grande popularité d’Ernest Malinowski pendant sa vie au sein de la société péruvienne, et la
reconnaissance de son savoir non seulement au Pérou, laissent penser que l’historiographie le
concernant est riche. La réalité ne soutient malheureusement pas cette thèse. Ernest Malinowski ne
figure dans aucune des éditions contemporaines des encyclopédies étrangères telles que
l’Encyclopedia Americana, l’Encyclopedia Britannica, l’Enciclopedia Italiana, le Dictionnaire
encyclopédique Larousse ou la Bolshaya Sovetskaya Encykłopedija. Les seules publications
étrangères qui comportent des biographies relativement brèves et inexactes de l’ingénieur polonais
sont celles de représentants de la communauté polonaise (…) Cependant, aucune monographie
scientifique sur Ernest Malinowski n’a été écrite, les événements survenus en Amérique du Sud ont
tellement éclipsé la mémoire de ce dernier, que même son grand œuvre, le chemin de fer
Transandin, est attribuée uniquement à H. Meiggs [l’investisseur]. Aujourd’hui, même au Pérou où il
a travaillé pendant la majeure partie de sa vie, pas beaucoup de gens savent qui était Ernest
Malinowski.

Danuta Bartkowiak, « Ernest Malinowski. Konstruktor kolei transandyjskiej », Poznań 1996, p. 9-10.

Sources:

  • Danuta Bartkowiak, « Ernest Malinowski. Konstruktor kolei transandyjskiej », Poznań 1996.
  • Zbigniew Bielicki, « Wyżej niż kondory », [dans :] « Poznaj Świat » R. XXVIII, n˚ 9 (334), septembre 1980.
  • Marek Bielski, « Rok inż. Ernesta Malinowskiego », [dans :] « Przegląd Techniczny – Gazeta Inżynierska », n° 16-17/2018, disponible ici.
  • Cezary Nałęcz, « Przyczynek do biografii Ernesta Malinowskiego : na marginesie książki Stanisława Łańca « Polska myśl techniczna XIX i początków XX stulecia w kraju i na świecie. Inżynierowie dróg i mostów », [dans :] « Echa Przeszłości » n° 6/2006.
  • Nicolás de Ribas, « El tren de Lima a la Oroya » : Construcción e idea de progreso en el proyecto ferroviario transandino del ingeniero polaco Ernesto Malinowski », Itinerarios 14/2011.
  • Władysław Folkierski, « Ernest Malinowski i kolej przez Kordylierę Andów », [dans :] « Czasopismo Techniczne » n˚ 10, Lviv 25 V 1899, p. 118.
  • Marek Borucki, « Wielcy zapomniani Polacy, którzy zmienili świat », Varsovie 2015, p. 236-246.
  • José Ignacio López Soria, « Malinowski y la ingeniería peruana », [dans:] « Ingeniería. Sociedad. Cultura. Publicación del Colegio de Ingenieros del Perú », Lima, n° 1/2006.

Illustrations et création graphique : Małgorzata Bochniarz-Różańska

Texte : Filip Jegliński

Version française: Anna Rdest

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